Maghreb : l’UMA sans détour.

Après avoir si longtemps hésité, tâtonné et piétiné, c’est enfin à Marrakech au Maroc que l’Union Maghrébine a vu le jour. Le 17 Février 1989, la main dans la main, brandies en signe de victoire, les chefs d’Etats en exercice à l’époque dans les cinq pays du Maghreb, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie annonçaient aux maghrébins et au monde la naissance de l’UMA.
Voie déblayée, décor planté, Marrakech et avec elle le Maghreb vivent des journées d’euphorie. Le nationalisme maghrébin et la profonde aspiration des peuples ont t-ils enfin triomphé ? Au fil des années, les maghrébins sont contraints d’admettre une amère réalité : l’échec relatif selon les pays mais néanmoins inquiétant, de leurs systèmes de développement respectifs à l’intérieur de chacun des Etats. Conçus par des idéologies différentes, ils n’ont pas permis de répondre aux besoins des populations, encore moins à leurs espérances. Force est donc de reconnaître l’impasse dans laquelle se trouve le développement solitaire dans le seul cadre national.

Le Maghreb n’est pas une utopie, mais une chance pour ses peuples. Ça sera la continuation d’une longue histoire par delà les obstacles, l’unité maghrébine pour les peuples n’est pas due uniquement à une préoccupation purement passionnelle et passéiste, elle entrevoit le moyen de dépasser la situation actuelle pour le moins morose dans laquelle se débat chacun des pays. Cela suppose que la décision politique soit capable de sortir de ces limites issues du nationalisme post-indépendantiste et de s’engager dans un voisinage de complémentarité. Or, le voisinage ne doit pas être vécu comme obscure, inquiétant et dangereux. L’art du voisinage est dit-on de ne point nuire. Les voisins vivent, travaillent, en priorité, sur ce qui les réunis laissant ouvert le débat sur leurs différences. La chance d’un Maghreb réel restera donc liée au face-à-face au dialogue et à la conviction.
Il ne suffit pas de dire que les pays maghrébins sont liés par une communauté de destin : géographie, religion, histoire et langue. Affirmations générales qui ne rendent pas compte de la complexité et de l’hétérogénéité ni des sociétés elles mêmes ni de leurs transformations. Malgré les perspectives aussi favorables, on ne peut occulter les divers obstacles qui jalonnent le chemin conduisant à une véritable intégration du puzzle maghrébin. Des difficultés multiples que l’on peut retrouver au niveau d’autres tentatives d’intégrations régionales qui entravent fortement l’édification du Maghreb et qui constituent autant de défis dans cette entreprise.
   •Difficultés d’ordre institutionnel : un équilibre institutionnel viable doit être trouvé en vue de donner aux instances communautaires l’efficacité pour assurer la concrétisation des objectifs communs.
   •Difficultés d’ordre économique : la dégradation des situations socio-économiques nationales constitue l’un des principaux obstacles à l’intégration maghrébine.
   •Difficultés d’ordre social ; avec un taux d’analphabétisme très élevé et une carence quasi-totale dans les domaines scientifiques et des technologies nouvelles : armes du temps
 •Difficultés d’ordre démographique et alimentaire : par l’inadéquation entre l’accroissement démographique et la croissance économique. La population des pays du Maghreb est constituée en majorité de jeunes de moins de 30 ans.
   •Difficultés d’ordre territorial : parmi lesquelles le conflit du Sahara occidental reste le plus inquiétant. Il s’agit d’un dossier épineux au sujet duquel toutes les tentatives de médiation et de conciliation ont échoué, ce dossier hypothèque largement toutes tentatives de rapprochement entre l’Algérie et le Maroc, moteur de l’intégration maghrébine.
Le Maghreb, dont le coût du non-être est à évaluer, demeure un simple espoir en l’absence d’une locomotive qui le propulse. Les pays qui ont la vocation à jouer ce rôle, en l’occurrence l’Algérie et le Maroc, se cantonnent dans des attitudes préjudiciables à l’objectif stratégique de la construction de l’UMA à cause de la lancinante question du Sahara occidental. Les dirigeants maghrébins espéraient en 1989 que l’UMA favoriserait le règlement du conflit saharien. Mais très vite, il s’avérera être une véritable bombe à retardement dont le non-désamorçage ne cesse d’empoisonner les relations algéro-marocaines et,   au-delà, les relations maghrébines. Il va s’en dire qu’on ne peut faire l’impasse sur le règlement définitif de la question du Sahara occidental si on veut relancer l’UMA. Les relations entre les Etats, avant d’être humaines et culturelles, sont d’abord d’ordre politique et stratégique.
Depuis sa création, il y a 19 ans, l’UMA reste bloquée en dépit de quelques velléités de relance. Au moment où le processus d’intégration en Europe, en Asie et en Amérique réalise des avancées remarquables. Les pays du Maghreb continuent d’affronter de façon isolée les nombreux défis économiques, géopolitiques et sécuritaires imposés par la mondialisation effrénée et impitoyable. Les relations entre le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye d’une part, et l’Algérie et ces mêmes pays d’une autre part sont normales et même excellentes pour certains cas et constituent un facteur d’appui à la reconstitution du puzzle maghrébin.
N’est t-il pas possible de constituer, à l’instar du couple franco-allemand qui a joué un rôle moteur dans l’impulsion de la construction européenne, un couple algéro-marocain, dont chaque membre serait mû vis-à-vis de l’autre par des solidarités plutôt que des rivalités ? À partir des objectifs et des contraintes communs, ainsi que des atouts de chacun des deux pays les plus importants du Maghreb, Maroc – Algérie, qui peuvent créer des réseaux d’intérêts en mesure de transcender les obstacles, avoir des effets d’entraînement sur les autres pays du Maghreb et rendre irréversible l’intégration de cet ensemble.
Le modèle européen n’a pas été édifié par la seule volonté des gouvernants. La société civile au Maghreb a un rôle déterminant à jouer, celui des communautés de base qui sont les repères culturels, cette société adopte malheureusement aujourd’hui un comportement passif dans les domaines qui lui semble relevés exclusivement du pouvoir de l’Etat, ceci est dû au fait que dans certains pays maghrébins, l’étatisation de la société a conduit à l’étouffement des groupes sociaux. Contrairement au mouvement associatif dans les pays européens, la société civile dans les pays du Maghreb a une existence récente d’encrage, d’assise sociale faible, démunie de moyens et dépendante des pouvoirs publics. Ce qui préoccupe aujourd’hui, c’est le silence, c’est la paralysie, l’inertie, l’entropie, c’est le manque d’initiatives et de décisions qui frappent les hommes et les femmes du Maghreb, gouvernants et gouvernés, on dirait qu’au Maghreb tout le monde est victime d’un mal dont il ignore la cause.
Ce qui frappe également, c’est l’incommunication entre algériens et marocains, bien que les cadres politiques et des élites culturelles restent en contact. Mais cela ne suffit pas. Les expressions douloureuses, parfois exprimées à titre individuel, n’ont pas eu l’écho souhaité et l’amertume sur la situation actuelle a parfois atteint son paroxysme, tel cet article paru dans le journal algérien « le Soir d’Algérie N° 4918 du 07 Février 2007 » dans sa rubrique « pause café », l’auteur qui compare entre les difficultés actuelles dans la circulation des biens et des personnes à l’intérieur du Maghreb aux facilités pendant la période coloniale, écrivait : « Ah ! Si l’UMA n’existait pas ! La première fois que je suis monté dans un train, j’avais à peine 4 années et c’était pour aller en Tunisie. Ni passeport ni devises : l’argent d’ici était accepté là-bas ! C’était la colonisation et il n’y avait pas d’UMA ! Plus tard, je me suis rendu au Maroc à travers le poste de Zoudj-Beghal. Je ne suis pas allé en Libye, mais beaucoup de jeunes s’y rendaient sans problème. Maintenant, il n’y a plus de train en circulation entre l’Algérie et la Tunisie et le dinar algérien n’est pas accepté en Tunisie. Le poste de Zoudj-Beghal est fermé, ainsi que tous les autres passages frontaliers entre l’Algérie et le Maroc ! Et il nous faut désormais un visa pour aller en Libye!  Vraiment, l’UMA, ça a fait beaucoup de bien au Maghreb ! ».
Les pays maghrébins n’ont pas connu de passé de guerres entre eux malgré quelques heurts qui n’épargnent somme toute aucun peuple. Les plus méchantes escarmouches ne représentent rien à côté des étripages massifs qui ont divisé les peuples d’Europe durant des siècles.
Malgré ce passé belliqueux et meurtrier, la France et l’Allemagne ont pu se concilier, constituant le moteur de l’Union Européenne. L’écrivain français André Malraux disait « il n’y a pas de nations mineures, il n’y a pas de nations majeures, il n’y a que des nations fraternelles ». La constitution du couple algéro-marocain à l’image du couple franco-allemand pour faire avancer l’intégration maghrébine et réactiver le dialogue stratégique « 5 + 5 » en méditerranée occidentale est aujourd’hui plus qu’un impératif. Inventer un espace commun de paix, de sécurité et de complémentarité relève de la raison et de l’intelligence stratégique. Il faut choisir, si choix il y a, entre le voisinage et la volonté sournoise de conquête.