Sahara : du triomphe de la Marche Verte à la guerre froide avec l’Algérie

Le lundi 14 novembre dernier aura passé inaperçu ! Pourtant, cette date est plus qu'un anniversaire, elle se prête aisément à une manière de symbole car il s'agissait du 30ème anniversaire de l'accord de Madrid, signé le 14 novembre 1975 par le Maroc, la Mauritanie et l'Espagne et en vertu duquel cette dernière, nous rétrocédait le Sahara. Les jeunes générations ne sont pas, peut-être, au fait de cet accord dont la portée historique et politique fut et reste considérable.

Un devoir de mémoire nous rappelle qu'il fut l'œuvre d'une longue et laborieuse négociation avec l'Espagne, elle a duré des semaines alors que son destin était quasiment suspendu au sort du général Franco, agonisant et irréductiblement hostile au retour du Sahara à la mère patrie.

L'accord de Madrid, finalisé et paraphé quelques jours seulement après la Marche verte, stipulait entre autres la rétrocession du Sahara au Maroc et, ce faisant, illustrait aussi le principe de négociation directe entre la puissance coloniale que fut l'Espagne et l'ayant droit, comme on dit, qu'était le Maroc. Elle consacrait enfin le principe de décolonisation.

Cette même décolonisation que S.M. Hassan II, Mokhtar Ould Daddah et Houari Boumedienne avaient réclamée lors d'un Sommet tripartite réuni à Nouakchott en mai 1973, ensuite en juin à Agadir où le président algérien n'hésita pas à réaffirmer son soutien au Maroc et exiger le retour du Sahara à la mère patrie. Cette triple position constituait en quelque sorte la réponse diplomatique à la décision annoncée par Madrid d'accélérer la tenue d'un «référendum d'autonomie» pour 1975, une autonomie sous contrôle bien entendu, car les richesses minières et phosphatières faisaient lorgner les tenants de l'empire espagnol.

En mai 1974 s'organisait alors un consensus national autour du Sahara où partis politiques, associations et peuple marocain se soudèrent autour de S.M. Hassan II pour barrer la route à la mainmise annoncée par Madrid et mettre en garde les autres – notamment le gouvernement algérien – contre toute ingérence dans cette affaire. Feu S.M. Hassan II prononça alors le 8 juillet 1974, la veille de la Fête de la Jeunesse, un discours qui avait retenti comme un tocsin : «L'année 1975, avait-il déclaré, sera consacrée à la libération territoriale du Maroc» .
Néanmoins, non content de prendre les devants pour couper court aux manœuvres espagnoles, comme aussi pour prémunir notre pays contre une étrange et anachronique collusion algéro-espagnole qui prenait forme – avec notamment la création du polisario par leurs services respectifs , S.M. Hassan II lança une campagne diplomatique d'envergure, dépêchant notamment les leaders des partis politiques dans différentes capitales du monde pour exposer les tenants et aboutissants de l'affaire du Sahara, soulignant en effet que pour le Maroc « l'autodétermination ne signifiait ni plus ni moins que la réintégration à la mère-patrie». Cette même année voit la mise en œuvre d'un recensement des populations du Sahara, entrepris par Madrid et l'ONU, concluant au chiffre de 70.000 sahraouis.

Ceux-là même qui, après la Marche verte et la libération du territoire en novembre 1975, ne bougeront pas et proclameront leur appartenance au Maroc.Quant aux groupuscules du polisario, manipulées par le général espagnol Viguri et les services algériens, ils avaient pris la fuite, emmenant de force quelques citoyens, quelques milliers, vers ce qui deviendra «les camps de Tindouf».Plus tard, le même polisario embarquera tous ceux, touaregs, mauritaniens, maliens, nigériens qui vivaient en transhumance, fuyaient la sécheresse des années quatre-vingt et se déplaçaient sans souciance d'un territoire à l'autre.{mospagebreak}

Il en fera, au mépris de la morale, des «sahraouis» maquillés, gonflant ainsi le chiffre impunément. Sur ces entrefaites, s'était affichée désormais ouvertement l'hostilité des dirigeants algériens à l'endroit du Maroc, par un jeu de pressions sur la Mauritanie, le président algérien Houari Boumedienne allant en mai 1975 jusqu'à menacer et terroriser le président Mokhtar Ould Daddah afin qu'il renonçât à son alliance avec le Maroc.

C'était conviction contre conviction : le Maroc était présenté par la propagande algérienne comme une «monarchie décadente», propre à abattre, l'Algérie étant en revanche le modèle de la «révolution tiers-mondiste», bastion militant des «bonnes causes», affichant sur son fronton «l'internationalisme prolétarien» et toutes les logomachies révolutionnaires de ces années d'illusions suivies de douloureux désenchantements.

C'est dans ce contexte fiévreux que s'inscrivait l'affaire du Sahara où seul le génie de S.M. Hassan II réussit à contrebalancer le machiavélisme des dirigeants algériens qui, de mauvaise grâce, avaient même décidé l'expulsion, baluchon en lisière, en novembre 1975 des milliers de Marocains installés depuis des lustres en Algérie. La Cour de La Haye, saisie par le Conseil de sécurité de l'ONU et S.M. Hassan II, avait rendu son verdict le 16 octobre 1975 : elle concluait entre autres à l'existence de liens historiques et juridiques d'allégeance entre les populations du Sahara et le sultan chérifien. Elle précisait également que le Sahara, au moment de sa colonisation par l'Espagne suite à une décision léonine de partage par les puissances impériales au début du siècle dernier, n'était pas, loin s'en faut, terra nullius.

C'en était largement assez pour convaincre le Maroc d'aller de l'avant. Le soir du 16 octobre 1975, S.M. Hassan II annonça la Marche Verte et, de nouveau, prit de court nos adversaires, aussi bien algériens qu'espagnols, alors dans l'expectative face au long coma du maréchal Franco qui finira par décéder le 20 novembre suivant.

La Marche Verte confirma deux réalités : la souveraineté marocaine, autrement dit populaire sur le Sahara et le processus de décolonisation qui est un credo bien estampillé dans la littérature des Nations unies. Et de fait, une longue négociation avait commencé entre Maroc et Espagne, réunissant Lopez Bravo et Cortina di Mori d'un côté , Ahmed Osman et Ahmed Laraki de l'autre, ces deux derniers ayant entrepris plusieurs «navettes» entre Agadir – où était installé le PC de S.M. Hassan II – et Madrid…Si le Roi Juan Carlos, qui se préparait en ce mois de novembre 1975 à prendre la relève du franquisme sur les ruines d'une dictature au long cours, n'avait pas enterré les fantasmes de la droite espagnole, le Sahara aurait alors constitué une grave pomme de discorde et conduit à un affrontement entre les 350 000 marcheurs munis du seul Coran et les soldats espagnols.

Aboutissement d'une logique de souveraineté, défi aux atermoiements des instances internationales, réponse idoine aux turpitudes post-coloniales d'une Algérie intéressée par le territoire plus que n'importe quel autre, la Marche Verte a mis en veilleuse toutes les velléités expansionnistes. Elle a fédéré de nouveau le peuple autour du Trône, elle a couronné les efforts de notre diplomatie. Car, et l'opinion mondiale devait en prendre acte, le Maroc a simplement récupéré son territoire, revendiqué constamment depuis des lustres mais convoité sans vergogne.

En 1955, alors que l'Algérie était encore « un département français», le gouvernement français proposa à S.M. Mohammed V le règlement du problème du Sahara marocain alors assimilé à l'OCRS , vaste espace désertique allant du Maroc à la frontière tunisienne crée par la France à la fois pour ses richesses souterraines et pour les expériences nucléaires. Mohammed V opposa un refus catégorique à la proposition française de récupérer tout de suite notre Sahara, arguant que le problème serait discuté et résolu une fois que «nos frères algériens deviendraient indépendants» les dirigeants algériens, cultivant le cynisme oublieront jusqu'au précieux soutien que le Maroc apportait à leur lutte de libération, qu'il a servi d'arrière-base logistique aux combattants du FNL, que Houari Boumedienne, Abdelaziz Bouteflika et autres étaient installés à Oujda et que la France menaçait à chaque fois de jeter ses foudres contre lui…Lorsque fut constituée l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) en 1960-61, le Royaume du Maroc, qui en fut le cofondateur, ne signa la Charte panafricaine que sous réserve que la clause de «l'intangibilité des frontières héritées du colonialisme ( ou de la décolonisation)» ne fût pas invoquée quelque jour comme un argument contre sa revendication sur le Sahara , posée sur les bureaux de l'ONU en…1955 déjà…Si injustice territoriale ait été jamais faite, ce fut à coup sûr contre le Maroc que les cartographes et les militaires coloniaux s'étaientamusés à tailler sur des cartes.{mospagebreak}

La circonspection du Maroc était pour le moins prémonitoire, mais l'OUA n'en tint aucun compte, engluée qu'elle fut dans les jeux de massacre et les petites lâchetés qui finirent par inciter le Maroc à la quitter en novembre 1984.
Entre le 26 mars 1976, date à laquelle l'Espagne quitta définitivement le Sahara en vertu de l'accord de décolonisation de Madrid, et aujourd'hui , le contentieux maroco-algérien n'a pas varié dans sa problématique. Pas plus que le gouvernement algérien n'a modifié son attitude qui a fait du Sahara l'un des piliers de sa diplomatie, enterrant les rêves communs. Les différents plans de l'ONU se succèdent et se heurtent à cette irascible volonté algérienne de figer les initiatives.

Pendant des années, disons depuis 1975, Alger a réclamé à cor et à cri le tenue d'un référendum d'autodétermination, espérant sans doute mettre à mal notre pays.

Cependant, lorsqu'en juin 1981, à la faveur du Sommet de l'OUA organisé à Nairobi, S.M. Hassan II annonça son acceptation du principe d'un référendum, comme certains pays amis européens, africains et arabes l'y incitaient, il prit de court les dirigeants algériens. Le Maroc était donc disposé à s'inscrire dans la démarche d'un référendum sous l'égide des Nations unies, il signa l'accord de cessez-le-feu en 1989 que lui proposa Perez de Cuellar, ainsi que le plan de paix de l'ONU en 1981, considéré comme l'incontournable préalable à la mise en œuvre du référendum tant exigé par Alger.

Mais c'était se méprendre sur le machiavélisme de cette dernière. Prenant conscience du revirement stratégique du conflit, du fait de la fin de la guerre froide et des désillusions inhérentes au reflux révolutionnariste ambiant, marquée par l'effondrement du communisme et la chute du Mur de Berlin en 1989, l'Algérie voyait ainsi ses beaux principes voler en éclats. Elle changea de fusil d'épaule, combattit alors le référendum en sabotant le recensement des populations sahraouies entrepris par la Minurso à partir de 1998 en vue d'un référendum qui, à l'évidence, ne pouvait que confirmer la marocanité du Sahara. Exit donc, ce référendum qui, de dérision en coups fourrés, était devenu tout simplement caduc, sans raison d'être.

Place à une autre forme de règlement, capable de faire la part du réalisme, de bâtir une formule moderne de négociation, juste et durable. Si l'ONU a préconisé une série de plans, ce n'est certainement pas dans le sens d'une aliénation des droits historiques et juridiques du Maroc.

Mais bel et bien dans le cadre du respect de la légalité internationale qui veut dire souveraineté du Maroc.

Or, celui-ci ira très loin dans le sens du réalisme, à telle enseigne que S.M. le Roi Mohammed VI, qui a repris en mains le dossier, n'a pas hésité à préconiser une solution politique avec l'octroi d'une large autonomie, dans le but de renforcer un ensemble démocratique cohérent.

Hassan Alaoui | LE MATIN DU SAHARA