Lutte anti-terrorisme : Cinq questions à M. Cherkaoui Habboub, directeur du BCIJ

Le Maroc a adopté une stratégie proactive, holistique et multidimensionnelle en matière de lutte anti-terroriste, qui allie aspects juridique, socio-économique et religieux, outre la coopération internationale, érigeant ainsi le Royaume en véritable partenaire stratégique incontournable au niveau international dans ce domaine. Dans une interview exclusive, M. Cherkaoui Habboub, directeur du Bureau Central d’Investigations Judiciaires (BCIJ) livre à la MAP le bilan et les actions du BCIJ et s’attarde sur l’expérience marocaine dans la lutte contre le phénomène du terrorisme, ainsi que sur la coopération sécuritaire entre le Maroc et un grand nombre de pays partenaires. 1- Quelle est la stratégie du Royaume pour lutter contre la menace terroriste ?   Depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le Maroc s’est engagé, de manière directe et inconditionnelle, dans la lutte contre le terrorisme. Ciblé par les attentats sanglants perpétrés à Casablanca le 16 mai 2003, le Royaume a alors pris conscience qu’aucun pays n’est à l’abri du phénomène du terrorisme. Sous la conduite éclairée de SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, le Maroc a, alors, adopté une stratégie nationale basée sur une approche sécuritaire globale et multidimensionnelle, avec pour mots d’ordre : proactivité et prévention, et ce dans le strict respect de l’Etat de Droit et des principes des Droits de l’Homme. Cette stratégie ne s’est, évidemment, pas limitée à l’approche sécuritaire, mais a porté également sur la réforme et la restructuration de plusieurs aspects, dont l’aspect juridique et sécuritaire, l’aspect socio-économique, l’aspect religieux, ainsi que sur le volet de la coopération internationale. Dans le cadre de cette stratégie, le Royaume a renforcé son arsenal juridique, en considérant des crimes comme actes terroristes s’ils sont délibérément liés à un projet individuel ou collectif visant à porter gravement atteinte à l’ordre public par l’intimidation ou la violence. Sur le même registre, le fait de rejoindre des groupes terroristes dans les foyers et zones de tension a été incriminé et est passible d’une peine d’emprisonnement allant de 5 à 10 ans. Quant à l’aspect sécuritaire, le Royaume a adopté la Carte nationale d’identité électronique et le passeport biométrique, pour anticiper et écarter tout danger pouvant émaner de la falsification de ces documents par des organisations terroristes. Il a également été procédé au déploiement, sur des sites sensibles, du dispositif sécuritaire « Hadar ». Et c’est dans la même veine que le Bureau Central d’Investigations Judiciaires a été lancé le 20 mars 2015. Relevant de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), le BCIJ se charge de traiter, sous la supervision du ministère public, des crimes et délits prévus par l’article 108 du Code de procédure pénale, notamment le banditisme, le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes et d’explosifs, le terrorisme, l’atteinte à la sûreté de l’Etat, la falsification de la monnaie, l’enlèvement et séquestration d’otages. Au volet socio-économique, l’Initiative Nationale pour le Développement Humain, lancée par SM le Roi en 2005, a permis la réalisation de projets générateurs de revenus, d’écoles, d’hôpitaux et d’infrastructures visant à lutter contre la précarité et la pauvreté. Sur le plan religieux, le Maroc a restructuré ce champ en plaçant l’ensemble des mosquées sous la tutelle du ministère des Habous et des Affaires islamiques, sans oublier la décision d’unifier l’instance de l’Iftae (avis religieux), désormais compétence exclusive du Conseil supérieur des ouléma, présidé par SM le Roi. Mesure à laquelle s’ajoute l’instauration de l’Institut Mohammed VI de formation des Imams, Mourchidines et Mourchidates, voué à la consécration des préceptes de l’Islam modéré. Sur le chapitre de la diplomatie religieuse, et dans le cadre de la coopération Sud-Sud, la Fondation Mohammed VI des Ouléma africains est chargée, entre autres, de fédérer et de coordonner les efforts des ouléma musulmans au Maroc et en Afrique, dans l’objectif de faire connaître, de diffuser et de consacrer les nobles valeurs de l’Islam, tout en servant de plateforme de partage des idées et des connaissances, et de formation des étudiants africains. D’un autre côté, la réinsertion des détenus revêt une importance cruciale sur le plan socio-économique. Il a été procédé au lancement du programme  »Moussalaha » (réconciliation) à l’adresse des détenus impliqués dans des affaires de terrorisme, visant à déconstruire la pensée radicale que pourrait adopter les pensionnaires au sein des établissements pénitentiaires. 2- Quelle est votre évaluation de la coopération entre les différents services de sécurité nationaux ? La politique sécuritaire du Royaume connaît un grand succès grâce à la coordination entre ses différents services de sécurité, tenant compte du fait que la Direction Générale de la Sûreté Nationale et la Direction Générale de la Surveillance du Territoire, les deux pôles de sécurité, sont dirigés par M. Abdellatif Hammouchi. Ceci a eu un impact considérable sur la lutte contre le crime sous toutes ses formes, puisqu’un grand nombre de bandes criminelles et de réseaux spécialisés dans l’immigration clandestine et le trafic international de drogue ont été démantelés. D’autre part, il existe une coopération étroite et continue entre les différents autres services de sécurité internes aux niveaux central, régional et provincial. Il s’agit d’une coopération à la fois horizontale et verticale visant à examiner toutes les affaires et échanger les informations en temps réel, à même de faire face efficacement à tout danger éventuel.   3- L’engagement du Maroc en matière de lutte contre le terrorisme au-delà des frontières est désormais incontestable. A quel niveau se situe cette coopération internationale ? Outre son engagement inconditionnel dans la coopération internationale aux côtés de la coalition dirigée par les Etats-Unis pour faire face à la menace terroriste, le Maroc a également ratifié et signé tous les pactes et conventions des Nations Unies dans ce sens. Comme exemple de coopération réussie, je cite la coordination entre le Maroc et les Etats-Unis, avec lesquels nous avons des partenariats solides et de longue date, ayant permis le démantèlement d’une cellule terroriste à Oujda au cours du mois de mars dernier. La DGST a de même fourni, en janvier dernier, des informations de premier ordre à Washington au sujet d’un soldat américain radicalisé, lesquelles ont abouti à son interpellation. La dynamique de coopération s’étend à d’autres services de sécurité de pays étrangers, notamment français et espagnols, qui a permis de mettre hors d’état de nuire des dizaines de cellules terroristes et d’éviter des bains de sang. Aussi, entre 2014 et 2020, la coopération sécuritaire maroco-espagnole s’est concrétisée par l’échange de données, d’expériences et d’informations ayant conduit à un partenariat très fructueux et abouti au démantèlement de dizaines de cellules terroristes. Le Maroc, mû par la volonté de hisser le niveau de coopération sécuritaire en matière de lutte anti-terroriste avec l’ensemble des partenaires, est entièrement engagé dans cette perspective. 4- Est-ce que l’ensemble des pays s’y inscrivent ? Il est à constater que l’Algérie, pays voisin frère, ne coopère nullement dans la lutte anti-terroriste, ce qui impacte négativement les efforts inlassables déployés, d’une part, par le Maroc et, d’autre part, par la communauté internationale dans la lutte contre le phénomène du terrorisme. L’absence de coopération de ce pays affaiblit et entame les efforts déployés pour contrecarrer les menaces et les dangers terroristes sur le plan régional. 5- Quel est le bilan du BCIJ depuis sa création jusqu’à aujourd’hui ? Depuis sa création en 2015, le BCIJ, bras judiciaire de la DGST, a réussi à démanteler 84 cellules terroristes, dont 78 en lien avec l’organisation de Daech et 6 autres acquises à l’idéologie de la nébuleuse Al-Istihlal wal Faye, qui légitimise des activités illicites pour financer des actes terroristes portant gravement atteinte à l’ordre public. L’action du BCIJ a également permis de traduire en justice 1.357 individus liés à des affaires de terrorisme et d’extrémisme, en plus de 14 femmes et 34 mineurs. Il s’agit également de 137 individus de retour de zones de combat qui ont été déférés à la justice, parmi lesquels 115 rentrés de la scène syro-irakienne, 14 ex-membres de Daech en Libye, et 8 autres extradés vers le Maroc dans le cadre de la coordination entre le Royaume et les Etats-Unis.