Relations Maroc/Espagne: Cinq questions au politologue Mustapha Sehimi
Pour le politologue Mustapha Sehimi, les derniers développements des relations entre le Maroc et l’Espagne témoignent « d’une régulation insuffisante des relations bilatérales ». Dans une interview à la MAP, le chercheur universitaire relève que « le Maroc ne manquera pas de tirer toutes les conclusions de la présente conjoncture », faisant observer que le Royaume « ne pratique pas une diplomatie en silos », mais agit sur la base d’une « diplomatie globale ». En somme, le Maroc de SM le Roi Mohammed VI a une crédibilité, un rôle et une influence à l’international, un leadership personnel moral et politique du Souverain. L’Espagne doit se mettre à jour, a-t-il souligné. Quelle est votre lecture des derniers développements des relations entre Rabat et Madrid? « Il faut mettre en relief l’historique des relations bilatérales, il aide à comprendre la tension actuelle. D’un côté, il y a des secteurs de coopération multidimensionnelle (échanges économiques et commerciaux, données géostratégiques, historiques, culturelles, humaines (plus de 800.000 Marocains résidents, sans oublier les liens personnels entre les deux Monarchies), tout cela constitue un ensemble d’intérêts communs ou croisés). Néanmoins, ce bilatéral privilégié, qui s’est renforcé au cours de la décennie écoulée, accuse toujours des tensions, des spasmes voire des crises. Cela témoigne d’une régulation insuffisante des relations bilatérales- Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est que c’est la question nationale du Sahara marocain qui supplante tous les autres dossiers- Madrid a fait montre de duplicité, d’inamitié et même d’hostilité. Là, c’est une « ligne rouge » pour le Maroc qui a demandé officiellement des « éclaircissements », Madrid ne les a pas donnés. On change de périmètre, l’on est frontalement dans un autre: celui du respect de l’État marocain, à savoir sa souveraineté ». L’Espagne est-elle prête à sacrifier sa relation et son partenariat stratégique avec le Maroc? « En termes de bénéfices/coûts, pourrait-on dire, comment cela se présente pour l’Espagne? Ce sont des voyants rouges, négatifs: le coup porté à la coopération avec le Maroc présenté dernièrement encore par Madrid comme « l’allié et l’ami le plus sûr » dans la région; la perte de confiance et de fiabilité du Maroc à l’endroit de ce partenaire, la mise en équation d’une certaine approche espagnole dans la région -quelle crédibilité peut désormais avoir Madrid en termes d’alliances, d’engagements, de respect de principes bien compris- l’on ne peut donc rien bâtir avec une telle diplomatie, versatile, erratique même- un enseignement qui dépasse le seul cadre Madrid-Rabat ». Le Maroc a toujours fait preuve d’une collaboration fructueuse sur plusieurs volets. Quel est à votre avis l’avenir de cette coopération, surtout sur les plans sécuritaire et de lutte contre l’immigration clandestine? « Nul doute que le Maroc ne manquera pas de tirer toutes les conclusions de la présente conjoncture. Les grands secteurs de la coopération seront préservés, notamment dans les domaines économiques- mais il en est d’autres qui appelleront une mise à plat conséquente et opératoire, notamment ceux intéressant les domaines sécuritaire et de la lutte contre l’immigration clandestine. Sur ces deux plans, le Maroc joue un rôle de premier plan, reconnu et salué d’ailleurs par la communauté internationale. A cet égard, faut-il continuer dans cette voie avec l’Espagne comme si c’était cloisonné, en dehors du champ des autres secteurs de coopération? Non, le Maroc ne pratique pas une diplomatie en silos. En effet, sa diplomatie est globale, les secteurs étant en interaction, en synergie pour améliorer ce qui a été réalisé en même temps que les pistes d’avenir pouvant promouvoir le bilatéral. Il est bien difficile aujourd’hui de risquer une hypothèse bien optimiste à terme … Le Maroc va faire un « audit » complet en la matière. Pourquoi l’actuel gouvernement semble hypothéquer la place de l’Espagne dans toute la région méditerranéenne, maghrébine et sahélienne? Le gouvernement actuel de M. Sanchez a-t-il une bonne appréhension des intérêts supérieurs de son pays? C’est évidemment l’affaire des Espagnols. Mais nous, comme partenaire privilégié de ce voisin, nous ne pouvons éluder cette question: quel rôle veut jouer l’Espagne dans le triple espace régional Maghreb, Méditerranée occidentale et même au Sahel? Déjà, en l’état, la diplomatie espagnole n’a pas une grande présence, pas de visibilité, pas de lisibilité non plus, pas d’initiative -comme si ce pays était à la remorque d’autres puissances- de quoi conforter des hypothèques sur les principes fondant aujourd’hui la diplomatie espagnole, pratiquement absente du sahel, du Maghreb (Libye, Proche-Orient …). Cette crise conjoncturelle pourrait-elle marquer un nouveau départ dans les relations bilatérales et bâtir ces rapports sur des bases solides d’un partenariat d’égal à égal? Il faudra bien revoir l’état de la coopération bilatérale- il sera difficile dans les prochaines semaines et dans les prochains mois de s’atteler à réfléchir et à finaliser un nouveau cadre de coopération et de partenariat privilégié entre les deux pays. Dans la corbeille, que mettre: les principes de respect de la souveraineté et d’indépendance- des procédures efficientes de concertation et de dialogue politique- des structures multiples de rencontre (commissions mixtes étatiques et parlementaires …) – Le Maroc de 2021, le Maroc de SM le Roi Mohammed VI a une crédibilité, un rôle et une influence à l’international, un leadership personnel moral et politique du Souverain. L’Espagne doit se mettre à jour.