Le Sahara Marocain et la responsablité historique (Partie II)

Le même raisonnement s’applique aux correspondances entre les Saadiens et les Senghéens avant la bataille de Oued El Makhazine en l’an 1578, ou encore les compagnes des préparatifs militaires inaugurées par Ahmed El Mansour Eddehbi lors de la neuvième décade du 16ème siècle, et qui ont porté sur les régions du sud-est du Royaume (Touat et ses régions), ainsi que sur les régions de l’Ouest allant du Souss au fleuve Sénégal12.
Les divers aspects de cette question interpellent tout analyste aux plans objectif et méthodologique, ce qui nécessite pour lever tout équivoque, une pause de réflexion sur ces deux points:

  • S’agissant du premier point, il convient de s’atteler à un phénomène historique d’une grande importance, en ce sens qu’il a marqué l’histoire du Sahara entre le 11ème et la fin du 17ème siècle, et que ses conséquences étaient restées vivaces tout au long des périodes postérieures. Il s’agit de l’ampleur des mouvements et de l’exode des tribus à travers l’espace Saharien.

  • Comme il est dit précédemment, les tribus Senhaja s’étaient dirigées vers le Nord (durant le 11ème siècle), particulièrement Lemtouna fondatrice de l’Etat Almoravide, tandis que Massoufa s’est déployée en direction de l’Est et du Sud-ouest (périmètre Tanbekt-Gaou), avant son avancée vers le Sud entre le 12ème et le 14ème siècle, en direction des hauteurs du fleuve Sénégal et du fleuve Niger, où se trouvent les origines des tribus Manding, fondatrices de l’Etat du Mali.
  • Si la victoire des Massamida (les Almohades) sur Lemtouna (les Almoravides) a permis au profit de Znata, un allègement de la pression qu’elle a endurée jusqu’au milieu du 12ème siècle, l’effondrement démographique qu’a connu le Maroc des Almohades, suite à la bataille « d’Al-Iqab » en l’an 1212, a été propice à Znata pour recouvrer son prestige d’antan. Ainsi, elle s’est lancée de ses positions au Sahara vers le Maroc, et a pu mettre fin au pouvoir des Almohades, pour fonder sur ses ruines, son propre Etat en l’an 1269 environ (les Mérinides).

            Et puisque les positions sahariennes des Znata s’étaient vidées de leurs populations, ou                     étaient sur le point de l’être, les Arabes des lieux y ont trouvé l’occasion de poursuivre leur                 déploiement tout au long de la rive nord du Sahara, évoluant vers l’Ouest sans grande                         difficulté, loin de tout affrontement sanglant13.

Dès la fin du 15ème siècle, des éléments des tribus arabes, particulièrement Hassane, avaient déjà envahi les lieux environnant le sud du Souss, avant de se lancer vers le sud au cours du 16ème siècle, pour se retrouver plus tard, en l’an 1677, face à face dans une guerre féroce avec le reste des Senhaja14,
sous le commandement de El-Ouali Nasser Eddine. Cette
bataille, connue sous le nom de « guerre de Chourboubah »,
s’est soldée par la victoire de Hassane.

C’est ainsi qu’ils ont pu asseoir leur pouvoir sur l’espace Chenguite, et que la situation sociale dans la région offrait dès lors le visage d’une hiérarchie catégorielle conforme à la nouvelle situation qui a prévalu jusqu’au début du colonialisme français et espagnol15.

Il semble que la stabilité de la situation démographique dans la région du Sahara atlantique durant le 18ème siècle de l’ère grégorienne l’ait aidé à trouver de nouveaux mécanismes pour l’organisation de l’espace au plan politique. La situation s’est ainsi ouverte progressivement à l’émergence du système de l’Emirat en tant que modèle politique embryonnaire dans la région, comme ce fut le cas pour l’Emirat d’Idouich bâti sur les vestiges des Senhaja ou encore des Emirats des Trarza et des Brakna. C’est ce qui avait permis à la région de retrouver certains de ses rôles économiques, que ce soit en direction de la région du Souss ou de celle des quelques comptoirs commerciaux ouverts par les Européens sur la côte atlantique pour l’importation de la gomme et d’un nombre réduit d’esclaves16.

La stabilité de la situation démographique et politique s’est répercutée également au niveau culturel, le dialecte hassani ayant vite commencé à se propager parmi les tribus du Sahara atlantique qui l’ont adopté progressivement au cours du 18ème siècle et ce, grâce à la pénétration, par le hassani arabe, des tribus des Senhaja. Ainsi, le hassani est-il devenu, dès la moitié du siècle suivant, l’outil principal de communication entre les tribus de la région. Parallèlement, la sollicitation par les tribus sahraouies de l’honneur de se prévaloir de ll’appartenance à la lignée du Prophète et à l’ascendance arabe en général a pris de l’ampleur, ces aspirations étant devenues manifestement un sujet de polémique au sein de la majorité d’entre elles même si certaines parmi ces tribus se sont distinguées en marquant leur attachement à leur origine senhajie authentique, à l’image de la tribu de Tendgha.

Ce qui serait intéressant de signaler concernant le volet politique, est que le territoire du Sahara atlantique a toujours constitué un espace de transit vers le Soudan et que la situation y a, durant plusieurs siècles, évolué de manière négative ou positive selon l’attrait exercé sur les voies reliant les deux flancs du Sahara. Les chefs du mouvement mourabiti ont bien assimilé cette dynamique, ce pourquoi, ils ont orienté leur mouvement vers le nord (Marrakech).

Dans ce même contexte, il importe de relever que le système de l’Emirat, qui s’est développé au sud du pays Chenguit suite à la stabilisation de la situation démographique, a en fait connu une extension et une évolution tout au long du fleuve Sénégal comme ce fut le cas pour les Emirats des Trarza ou des Brakna qui se sont inspirés, dans leur fondement et leur évolution17, du modèle makhzénien marocain.