Crise avec l’Espagne : Trois questions à l’écrivain Jean-Marie Heydt
L’universitaire et écrivain franco-suisse, Jean-Marie Heydt, auteur du livre «Mohammed VI, la vision d’un Roi : actions et ambitions» suit avec un regard expert l’actualité marocaine et son interaction avec l’environnement régional et le voisinage européen. Dans trois questions à la MAP, ce spécialiste des affaires européennes et Président d’honneur de la Conférence des Organisations internationales non gouvernementales du Conseil de l’Europe livre sa lecture des derniers développements ayant marqué les relations du Maroc avec l’Espagne, sur fond de l’accueil par le pays ibérique, dans des conditions obscures, du chef des séparatistes du polisario, le dénommé Brahim Ghali.
1 – Le Maroc est un partenaire de longue date de l’Union européenne. En quoi est-il important pour le bloc communautaire ? Le partenariat qui lie le Maroc et l’Europe s’inscrit à la fois dans les gênes et dans l’esprit de la construction européenne. Aujourd’hui, qu’il s’agisse du Maroc ou plus largement de l’Afrique, face à l’évolution mondiale, ce partenariat relève d’une nécessité vitale pour l’Europe qui ne peut exister sans l’Afrique et sans le moteur que représente le Maroc. Il s’agit d’une interaction permanente qui doit bénéficier aux vrais partenaires, car la seule construction d’une Europe « européenne » n’est plus concevable.
2- Dans le domaine migratoire, le Maroc fait ce qu’il peut, mais l’Europe exige qu’il fasse son gendarme. Comment peut-on concevoir un réel partenariat entre le Maroc et l’UE sans heurts ?
La thématique migratoire est devenue un sujet sensible qui offre l’opportunité d’ouvrir le débat sur ce qu’est un partenariat, ce que doit être un partenariat : deux (ou plus) acteurs qui mettent en commun leurs compétences respectives, car ils souhaitent atteindre un (ou plusieurs) objectif commun, en empruntant les chemins qui leur sont propres. Or, en matière migratoire, nous observons qu’il ne s’agit pas aujourd’hui d’un vrai partenariat mais d’un rapport plutôt mercantile où l’un achète un service à l’autre. Bien évidemment, qu’il soit mis à disposition, de celui qui est le mieux en capacité de réaliser une tâche, des moyens matériels et financiers, c’est un élément important de négociation. Mais la notion d’un vrai partenariat appelle à ce que les acteurs concernés participent tous, de façon équilibrée – depuis l’état de la question, passant par les stratégies plausibles, la conception opérationnelle jusqu’à la réalisation concrète – à l’ensemble des étapes. Le Maroc et l’Europe seraient les grands gagnants d’un partenariat fort, lequel pourrait être un exemple pour d’autres régions du monde confrontées à des problématiques communes.
3- l’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc. Les deux pays entretiennent aussi une coopération sécuritaire exemplaire. Aujourd’hui, après l’accueil par le pays ibérique du chef du polisario dans des conditions obscures et sous un prétexte fallacieux, les relations sont au plus bas. Quelle est votre lecture de ces développements ?
Il est toujours difficile d’affirmer un point de vue dans un domaine où vraisemblablement des éléments propres à un pays échappent au commun des mortels que nous sommes. Cependant, la population doit pouvoir comprendre un choix politique dès lors qu’un individu est considéré par la justice d’un ou plusieurs pays comme ayant commis des actes graves et répréhensibles. Or, l’ignorance n’est pas tolérable lorsqu’on sait que Brahim Ghali est poursuivi par la justice espagnole, par un mandat d’arrêt daté de 2016, au motif de crimes contre l’humanité, de génocide, de viol et de tortures. Certes, pour être admis à l’hôpital, son identité aurait été fausse. Cependant, de nombreux Espagnols avaient déposé plainte devant la justice espagnole à son encontre, et ce dès son arrivée en Espagne. Après son identification, la police espagnole aurait convoqué l’individu, ce qui renforce l’idée que l’on ne peut feindre d’ignorer sa situation. L’incompréhension est de taille quant au silence observé par les autorités espagnoles qui n’ont pas jugé opportun d’alerter immédiatement les autorités marocaines. Cette affaire est d’autant plus étonnante que les deux pays entretiennent des relations exemplaires de coopération, notamment sécuritaire, et ce depuis de nombreuses années. Si l’on veut sortir de telles situations, éviter à l’avenir qu’un commissaire européen estime « inquiétant » l’afflux de migrants et en arrive à demander au Maroc d’empêcher « les départs irréguliers », il faut que l’objectif commun, au cœur du partenariat, bénéficie d’une compréhension réciproque. La raison doit l’emporter pour sortir rapidement de cette crise et surtout rétablir un processus relationnel qui fonde un partenariat digne de son concept. Nul doute que les autorités espagnoles, après avoir soigné cet individu, sauront immédiatement enclencher la procédure judiciaire qui convient et que l’Union européenne de son côté entrera en dialogue rénové avec le Royaume du Maroc pour établir un nouveau partenariat. De nos erreurs et de nos crises, sachons sortir grandis pour construire l’avenir.