La fermeté de la réponse marocaine confirme que la crise est bien plus grave que ne veut l’admettre Madrid – Géopolitologue français –
La fermeté de la réponse marocaine confirme que la crise avec l’Espagne est bien plus grave que ne veulent l’admettre les autorités du pays ibérique, affirme Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), un Think tank basé à Paris. La crise entre l’Espagne et le Maroc a « étonné par sa radicalité et ses conséquences avec le rappel de l’ambassadrice du Maroc en Espagne pour consultations. C’est le degré le plus extrême dans le cadre de relations diplomatiques qui avaient tout pour être apaisées puisque l’Espagne et le Maroc ont cette particularité non seulement géographique mais d’être des partenaires économiques d’importance considérable l’un pour l’autre eu égard aux 12 milliards d’euros que constituent la balance commerciale entre les deux pays, sans oublier l’importance de la coopération en matière migratoire ou en matière sécuritaire », analyse pour la MAP, l’expert français en géopolitique et géostratégie. De plus, ajoute Emmanuel Dupuy, cette crise est aussi « liée à la situation politique en Espagne; avec la très profonde défaite qu’a connue le PSOE lors des dernières élections régionales caractérisées par la montée en puissance et le retour du Parti Populaire comme force politique », « un retour qui a perturbé la très fragile coalition gouvernementale sous l’égide de Pedro Sanchez, et montre à quel point la relation entre l’Espagne et le Maroc est aussi l’objet d’un profond dissensus entre la classe politique espagnole ». Le Président du Parti Populaire (PP), Pablo Casado a « singulièrement » démontré qu’il n’était pas d’accord avec la position de l’exécutif de son pays et qu’il n’aurait pas agi comme l’actuel locataire de la Moncloa, ni n’aurait pris la décision d’accueillir le chef du Polisario, souligne l’expert pour qui cette position démontre l' »existence d’un hiatus entre responsables espagnols sur la question ». « La montée en puissance du PP caractérisée par la prise de parole également d’Isabelle Diaz Alluzo à Madrid qui elle-même a critiqué la position de la coalition gouvernementale entre le parti Podemos et le parti socialiste espagnol, montre là aussi qu’il y a un dissensus qui s’est crée », décrypte l’expert. Selon le président de l’IPSE, cette crise avec le Maroc aura « à coup sûr des répercussions sur la vie politique espagnole ». Cette crise est « suffisamment grave pour que Pedro Sanchez décide d’annuler sa venue mardi dernier à Paris (pour le Sommet sur le financement des économies africaines NDLR), et se précipite à Sebta démontrant à quel point son avenir politique est aussi en jeu dans le règlement de cette crise ». En outre, le Premier ministre Pedro Sanchez se trouve fragilisé voire en difficulté en perdant « la légitimité » de son allié Podemos et précisément de son chef Pablo Iglesias qui a annoncé sa démission. A cela, il faut ajouter la montée en puissance du PP qui a récupéré 44% du scrutin lors des dernières régionales de Madrid, ainsi que celle du parti d’extrême droite Vox, et les tensions très vives entre les différentes positions défendues par les autorités politiques espagnoles. « Tout cela constitue des éléments qui, vraisemblablement devraient conduire à de futures élections ou en tout cas à une profonde remise en cause de l’actuelle stabilité gouvernementale espagnole », affirme l’expert. Selon le président de l’IPSE, « si la droite revient au pouvoir et si Pablo Casado a la possibilité de créer les conditions d’une plateforme politique avec Vox comme l’ont fait les socialistes avec Podemos, évidemment cela va singulièrement changer la donne ». « Mais, on n’en est pas encore là. Il n’y a pas d’élections législatives. Et Pedro Sanchez est encore Premier ministre, mais je crains que la pression politique soit très forte. Elle viendra des régions de plus en plus exigeantes. Elle viendra de la part du parti national basque ou de Esquerra republica de catalunya », a-t-il pronostiqué. Et d’ajouter que le fait que les socialistes espagnols aient perdu leur position dans quasiment toutes les régions du pays, cela « va occasionner une profonde remise en cause de la gouvernance politique en Espagne et de facto aboutir singulièrement à une autre approche du dossier du « Ghali Gate » avec sans doute une plus ferme vigilance pour que la Audiencia Nacional puisse juger les crimes de torture, de viol, de séquestration et d’enlèvement commis par le chef du « Polisario » et donner suite aux plaintes déposées contre lui ». S’agissant de la reconnaissance par l’Administration américaine de la souveraineté marocaine du Sahara et la position « frileuse » de l’UE, le Président de l’IPSE considère que « l’UE est bloquée par le fait que tous les pays européens n’ont pas le même regard sur la question du Sahara ». « Il y a des pays qui sont très impliqués car il y a l’histoire et la géographie qui les amènent à regarder le Maroc comme un acteur déterminant et stratégique, quand d’autres ne le sont pas ou de façon moindre », explique-t-il. « De la même façon que la question de la lutte contre le terrorisme n’est pas aussi prégnante chez les pays qui n’ont pas été touchés par les attentats ». Pour lui, l’UE doit « tout simplement créer les conditions du consensus sur la question migratoire, sachant que ces conditions sont non seulement difficiles entre les pays de l’UE et leur voisin du sud dans le cadre de la politique européenne du voisinage, mais qu’elles sont encore plus compliquées et difficiles entre les pays européens car il n’y a pas de consensus sur cette question ». Selon Emmanuel Dupuy, cette crise doit amener l’UE à avoir « une position unifiée face à des partenaires et non pas des adversaires, la raison étant que l’on ne peut pas considérer le Maroc et d’autres pays de la rive sud de la Méditerranée comme des pays adversaires sur cette question ». L’UE devra aussi « créer plus de dynamique et plus de coopération et mettre à disposition plus de moyens financiers pour ne plus dénoncer une présumée inaction ou insuffisante mobilisation de ses partenaires », a-t-il considéré, critiquant au passage que « l’UE jauge et juge la situation migratoire aujourd’hui sans tenir compte des préalables et des précédents qui vont tous dans le sens de confirmer le Maroc comme étant un partenaire fiable ». « Et donc de ce point de vue là c’est un peu décevant ».