Sous Macron, l’affaiblissement constant des institutions de médiation interroge sur l’exercice du pouvoir – Papier d’angle –
L’affaiblissement constant des institutions et des corps de médiation en France, qui s’est manifesté clairement dans le passage en force du gouvernement pour faire adopter sa très controversée réforme des retraites, suscite moult interrogations dans l’hexagone sur l’exercice du pouvoir, depuis la réélection du président Emmanuel Macron. Les propos du président Macron devant les parlementaires de la majorité, reçus à l’Élysée en mars dernier, en affirmant que « la foule » de manifestants opposés à cette réforme n’avait « pas de légitimité » face « au peuple qui s’exprime à travers ses élus », lui ont valu des critiques acerbes aussi bien de la gauche, que de la droite et de certains de ses alliés politiques. Rarement, dans l’histoire de la Vème république, que toutes les couleurs du paysage politique français se mettent d’accord pour rejeter cette manière de concevoir la pratique du pouvoir. +Mépris des institutions de médiation sociale+. Les commentateurs voient, en effet, dans ces déclarations un président « convaincu d’être le seul détenteur de la légitimité politique » et qui ne cache plus son « mépris » à l’égard des corps intermédiaires institutionnels et de médiation sociale. En poursuivant l’affaiblissement de ces institutions et en forçant le passage à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites et bien d’autres textes, le chef de l’Etat, dans sa pratique du pouvoir en « solitaire » selon la Ligue française des droits de l’homme, a provoqué un blocage sans précédent de l’agenda politique et une crise démocratique profonde, touchant à la fois le fonctionnement réel des institutions de la République, le dialogue social et la confiance des citoyens. Il en résulte ainsi, selon les organisations de défense des droits de l’homme, un recul notoire des libertés publiques, notamment avec une augmentation des interdictions du droit à manifester et une recrudescence de la violence, devenue une manière de s’exprimer en l’absence de dialogue entre l’exécutif et les différents corps intermédiaires. Situation fortement critiquée par la classe politique, médias et intellectuels. Il faut se rendre à l’évidence qu’entre l’Élysée et la société civile, les médiations se font rares. « Le pouvoir semble s’exercer de haut en bas, et la violence, ici et là, se substitue au sens et au contenu », estime, à cet égard, le sociologue Michel Wieviorka, pour qui les mobilisations sociales, hier avec les « gilets jaunes », aujourd’hui sur les retraites et sur la question de l’eau et des méga bassines, « sont de plus en plus débattues sous l’angle des affrontements entre forces de l’ordre et acteurs contestataires ». Dans un paysage fragmenté, avec une population inquiète du fait de l’inflation, épuisée après la crise sanitaire, « l’archipel France peine à fonctionner et les médiations déclinent », soutient-il dans un décryptage publié dans La Tribune. « Le chef de l’État, dès 2017, s’est engagé sur une pente claire : le pouvoir est considéré comme s’exerçant de haut en bas, et très peu de médiations semblent trouver grâce à ses yeux », renchérit-il, rappelant qu’à plusieurs reprises, notamment durant la crise liée à la pandémie, il a décidé de subordonner les pouvoirs judiciaire et législatif à l’exécutif pour mener la « guerre » au Covid-19. « Dans la lutte contre le terrorisme, il s’est également employé à décréter des mesures d’exception, alors que sur le social, il ne prend pas forcément en compte les syndicats, y compris réformistes comme la CFDT – une attitude qui est une constante et ne date pas uniquement du débat sur la réforme des retraites ». +Crise d’impuissance du Président Macron+. Cette propension à annuler les médiations est perceptible dans de nombreux domaines : suppression du corps diplomatique ; désinvolture vis-à-vis des élus locaux ou régionaux ; dynamitage de la gauche, puis de la droite classique, énumère le sociologue. Le juriste Benjamin Morel estime, de son côté, qu’une partie des Français « a l’impression que la démocratie leur a été confisquée », faisant valoir que le souci est qu’aujourd’hui, Emmanuel Macron souffre paradoxalement d’une « crise d’impuissance », d’autant que les grands sujets économiques, qui minent la nation, semblent assez peu solubles pour lui, faute de sortir des grands paradigmes économiques dominants. De son côté, Pascal Ory, historien et membre de l’Académie française, qualifie Emmanuel Macron de « président jupitérien, très préoccupé d’abaisser les corps intermédiaires ». Sur la réforme des retraites, la France, par »le caractère structurellement autoritaire de sa culture politique », continue à détonner de ses voisins où prédominent »les figures du compromis », affirme l’académicien, également professeur émérite à l’université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, dans une tribune au Monde. A ses yeux, la France “continue à trancher sur ses voisins par le caractère structurellement autoritaire de sa culture politique : centralisée et présidentielle, unitaire et bipolarisée”.